Bachir Amal: Le tableau ouvert

Par M’barek Housni

D’un peu ou d’un tout, on peut créer un monde. Comme le fait d’assembler des éléments éparses dans une même œuvre, un travail artistique donné, pour que ce monde reflète, le plus profondément possible, l’intériorité enfouie et riche de l’artiste. Mais, toutefois, sans être dissociée d’un environnement qui la sert par en dessous.

Il ne s’agit pas là de recherche de secrets, mais plutôt d’une recherche plus à même d’être la plus appropriée à un penchant personnel. Car Bachir Amal, étant professeur «formateur» d’artistes, si j’ose m’exprimer ainsi, et fin connaisseur de toutes les écoles, a tant de choix possibles. Or, en matière de création, on est soi-même, et on se doit d’avoir une voie et un univers picturaux. Et il les a trouvés depuis bien longtemps. Dans l’isolement de l’artiste avec lui-même, sans l’influence de cet acquis cité, mais avec l’apport de la recherche et la culture.

Bachir Amal – Technique mixte, sans titre

Des signes, des symboles et bien sûr des mots

Cela, on est dans le droit de le sentir vibrer dans un tableau sans nom, mais où s’étalent ces caractéristiques. Commençons par le fond, cet arrière réceptif: du blanc lumineux en deux tonalités toutes deux mêlées: pur et entaché. Donc le blanc d’une neutralité affichée comme une page vide de tout sauf d’elle-même. C’est-à-dire ayant déjà existé ainsi, et cette couleur lorsqu’elle joue ce rôle, elle a son propre vide qui n’en est pas un puisque peinture, un travail effectué par un pinceau et décidé par l’artiste qui approche ainsi son penchant pour ce qui a daté. D’autres couleurs peuvent être usitées à sa place, mais alors ce serait un autre départ, un début autre, mais toujours en privilégiant l’ancien comme style artistique.

Restons sur notre tableau choisi. Viennent ensuite des formes géométriques aux dimensions pas tout à fait précise, car la géométrie s’inscrit dans le geste hésitant à dessein. Tout le travail de Bachir Amal tend à cela et on le verra lorsqu’on abordera sa technique de prédilection: Le collage. Donc des formes vertes à dimensions semblables mais aux volumes et tailles différents, en plus placées dans deux extrémités opposées. Comme se regardant. Un vert dont l’accentuation du ton n’empêche pas d’être lumineux. Un dialogue du même sans l’être, comme pour les humains. Il sera vite rejoint par des soupçons de couleur plus qu’autre chose. Du noir en trait, du brun clair en rectangle, du rouge en trait grossier qui tire vers un certain rose. On aurait dit des chuchotements à côté, parasitant le dialogue des prédominants. Elles sont placées sur des aires de plus en plus grands mais excentrés tout en gardant leur effectivité influente car elles remplissent le regard et influencent la vision.

L’ensemble présenté avec la dominance de la clarté colorée. Une puissance dans la douceur comme dans une saison automnale. C’est selon l’instant. Un tableau s’exécute avec et dans le temps. Et ce temps est offert par les pages jaunies d’un livre placées au centre de l’œuvre, collées là pour se situer dans l’évidence. Si on force un tant soit peu l’interprétation, on dirait qu’elles sont le sujet du dialogue des couleurs, le sujet du tableau du moment qu’elles sont dans le centre. Ce collage de l’artiste est tout sauf innocent ou un élément dans une œuvre picturale qui existe indépendamment de toute unicité d’explication qui n’a pas lieu d’être. Les pages contiennent de l’écrit qui avait un sens avant être arrachées de leur logique livresque. Elles sont sans valeur, perdues. Or les lettres sont des formes et la page un réceptacle. Il est alors logique de le replacer. Comme pour tout écrit sur une marchandise ou un calendrier ou une boîte. Seulement, ils doivent d’être passés par l’usage. Tout le travail de collage de Bachir Amal, comme il est explicite dans ce tableau, consiste en un replacement dans une autre logique, un autre but, une immersion dans la mémoire collective collectée par le visuel. Dans l’indirect. Car à y voir de plus près, Bachir Amal colle ce qui existe dans nos vie depuis “l’installation” de la conscience en nous et vis-à-vis du monde.

Le collage ainsi devient un élément d’un tout qui ne s’use pas. Un tableau. Une œuvre d’art qui puise dans le courant abstrait ce qu’il possède d’original, à savoir faire dire aux couleurs, aux formes et à la lumière et les sensations personnelles en corrélation  avec l’époque vécue par l’artiste sans que le réel soit explicite. Un réel plutôt chiffres, lettres, oubli et mémoire. La vie dans le saisissement ténu de l’art. Cette simultanéité chère à Merleau-Ponty perçue ici dans ce qui est retiré de la circulation, rendu à la circulation. Oui, répétons-le : de l’art.

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