L’artiste Zouhir Ibn El Farouk: Le déplacement heureux vers la lumière

Par : M’barek HOUSNI *

Aller au-delà de ce que capte la photo. Être face à un défi que s’était imposé l’art depuis plus longtemps: dénicher l’insaisissable qui est pourtant tapi là quelque part dans cette même photo. Voilà la gageure lancée par l’artiste depuis plus de vingt ans. Affaire de traversée frontale d’une immanence brillante tout en sommant l’œuvre réalisée à se dépasser, à devenir autre chose. Pas une représentation, ni une copie fidèle même esthétisante de son contenu. Arrimer la photographie à la plasticité pure, à la pureté de la plasticité. Bref, faire exploser ses potentialités artistiques liées à la lumière.  Et bien sûr à son pendant qu’est l’obscurité. Tout un programme devenu un plan de carrière grandement suivi et établi. Connaissant l’artiste à ses débuts, on témoigne de cette fougue qui l’avait pris pour exprimer ses émotions à travers le désir de mouvement, action réelle et concept fondateur, résultant autant d’un voyage extérieur qu’intérieur où l’artiste fait jaillir une capacité à créer l’œuvre photo dotée d’expressivité. Ce trait ne changera pas et va se concrétiser en une abstraction photographique d’une magnificence saisissante.

Car l’artiste a réussi ce tour de force qu’est le déplacement. Dans le sens d’une transgression heureuse qui déplace les frontières entre la photo et la peinture. Oui, peindre sans peinture ni pinceaux. Faire exister l’atelier parallèle. Du pur nomadisme via l’art. Et pour être nomade ne doit-on pas se déplacer, déplacer les lieux. Non pas s’y rendre, ce qui est acquis et obligatoire, mais les remettre à des espaces autres. Dans l’œuvre.

Lorsqu’on contemple les différentes manifestations de celle-ci à diverses époques  d’inspiration de l’artiste, on tombe sous le coup de cette ambiguïté plaisante: regarde-t-on un tableau ou une image photo? Mais est-il judicieux et susceptible de nous éclairer d’une quelconque idée d’art de se poser pareille question? Non. Vérifions-le sans tarder. Étape par étape.

oeuvre de Zouhir Ibn El Farouk

1- Les secrets de ce qui se multiplie

Lors de son séjour dans l’infini des dunes nues, face au soleil ou au ciel, Ibn El Faraouk a traqué les interstices minuscules qui filtrent entre les mailles baignant dans des tons colorés divers, entre brun et bleu, dans le noir effilé ou carrément investies par d’autres teintes, mais à chaque fois rendant le voyage enrichi d’émotions que seule la fréquentation d’un étendu infini peut offrir. Le désert. Une sorte de submersion envahit l’œil et l’accroche à  une œuvre qui ose et réussit à se saisir d’un au-delà frôlant par là même l’indicible.

2- L’oxymore : voyage par excellence

Et ce que fournit cette étape majeure de la carrière de l’artiste, en plus approfondie. L’intitulé de son travail par ce mot qui exprime la chose et son contraire en une alchimie révélatrice de la quête, toujours la quête d’un nouveau, des possibilités inexpérimentées auparavant. Cette fois-ci, l’œuvre est tantôt flamboyante avec des lueurs criantes, tantôt entre blanc et noir, traversée de stries et d’autres tons. Le tout créant des formes propres et captivantes. C’est une nouvelle expropriation de la frontière entre le photographique et le plastique. Cet oxymore prend l’aspect de la dualité unie, les contraires réconciliés, l’âme de ce qui diffus, ailé, fuyant enfin pris dans les filets du regard. Pour le plaisir et la question. C’est tout l’être qui est interrogé, entre ce qu’il peut voir et ce qu’il peut comprendre. Dans la  contemplation du résultat obtenu.

Les relais :

  • L’ajout heureux

Or il est notable de signaler que cette étape a engendré, en passant, des relais fonctionnant comme une variation au sein de la multiplication du même. Les tentes, les dos de chameaux ou autres signes du désert, se trouvèrent au centre des œuvres portant les noms significatifs de « morphes » et «émulsions » par exemple. L’ensemble constituant autant de possibilités d’invention d’une identité qui dépasse le simple geste d’un tirage technique. Il y a une pression autre exercée sur le photographique. Révolution et continuité dans un égal élan, comme si le régime artistique se renouvèle de lui-même. Il y a toujours ce rouge, ce bleu et ce jaune qui ressortent à chaque fois. Rien que des couleurs essentielles ! Et cette minuscule matière qu’est la gélatine, si délicate et si tenue, qui cependant assiste l’artiste et lui ouvre grand ouvertes les champs de l’inspiration heureuse.

  • Le noir et blanc

L’artiste ne fait là que reprendre son bâton/appareil d’artiste à l’œil et l’esprit aigus pour aller plus en avant de chaque expérience. À cet effet, celle du noir et blanc est édifiante. La lumière et l’obscurité s’y croisent dans une trame montrant l’envers et l’endroit de la chose. Celle-ci subit un déplacement de nature autre : d’elle-même, de ses tréfonds, on le devine, cachés. Une assiette broyée, du papier aluminium froissé, sont des motifs pour une exploration esthétique dont le pouvoir de subjugation inculque l’âme à l’inanimé par nature. Du coup, toutes les interprétations sont possibles, ce qui ne gâche rien au plaisir de la beauté artistique offerte où le rien se hisse au rang du tout. Même constat pour les travaux qui portent tour à tour les noms de « résonances », «voies d’espaces » et «passages ». Ici, l’artiste fend tout en la fondant la trame des extrêmes portés par le noir et le blanc, qui en se coltinant rendent compte d’un sens poétique inspirée.

b- Le temps qu’est un long changement

Une poétique qui ne cesse de se chercher dans d’autres supports/objets. Tiens, ce citron pourrissant lentement,  pourquoi ne pas le pister pas à pas ? S’est dit l’artiste dans un soudain moment de fulgurance. Et c’est ainsi que les couleurs du passage du temps prennent… des couleurs spécifiques. Un temps à la portée : jaune et vert, à la texture d’un objet qui se métamorphose pour épouser une nouvelle vie organique, loin de l’anéantissement. Miracle d’une fin qui est un commencement. Et donc une autre définition est avancée ici pour ce concept collé à l’artiste qu’est le déplacement. Elle est cette finitude par degrés. Ce qui accentue et explique l’expérience d’Ibn El Farouk comme violence esthétique faite à la photo. Où les couleurs changent, débordent le cadre, naissent d’elle-même, se régénèrent pour être des formes. ..

Un déplacement en tous sens, mais heureux.

*Écrivain et chroniqueur

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