Quand La Photo Hante la mémoire…

Quand la photo hante la mémoire...

Ça a l’air simple. Un simple clic du doigt, et la mémoire est sauvée, l’oubli occulté. Pourtant,  non. Car en matière d’art, avec cet acte apparemment «anodin et familier», il y en a un plus profond, plus sérieux: celui de voir. Dans le sens de choix de thème, de réflexion, à propos du temps, d’attente et de moment opportun.

On en fait un constat clair et riche, lorsqu’on jette un coup d’œil sur la sélection d’artistes invités et d’œuvres concoctées par la troisième édition des journées photographiques de Rabat. Celle-ci coïncide avec le trentième anniversaire de la création de l’association marocaine de l’art photographique par des pionniers dans le domaine, notamment Mohammed Mali, et qui est présidée actuellement par l’artiste Jaāfar Akil, directeur artistique de ces rencontres.

photographie de Thami Benkirane

Des rencontres dont le moins qu’on puisse dire est qu’elles érigent l’art de la photo à la place de choix qui lui est dû. À savoir comme genre à part entière, d’expression et de création, capable de dire l’existence comme de la réinventer par ses propres outils, et son propre langage dont la grammaire est spécifique.

On peut s’en rendre compte en contemplant l’œuvre des invités. Seize artistes marocains et étrangers, quatre intervenants dans les débats et les portfolios. Et surtout en ayant l’occasion de se pencher sur l’œuvre d’un artiste reconnu mondialement, le cubain Raùl Cańibano. En effet, celui-ci donne à voir un monde, en blanc et noir, sans manipulation ni apport de la technologie numérique, où l’implication personnelle dans l’immédiat est saisissante de vérité et de complexité bienheureuse. Il est d’une acuité et d’un impact fort.

L’impact, est le maître mot qui saute aux yeux, lorsqu’on déambule devant les différentes expériences accueillies sur les murs de l’Espace Expressions CDG, les galeries de Bab Rouah et Mohammed El Fassi. Avec un grand artiste comme Zouhir Ibn El Farouk, qui a replacé la photo dans le domaine de la réflexion comme de la plasticité pure et créative, via la métamorphose de l’image vers d’autres horizons. Ou le nîmois Patrice Loubon, qui lui, revisite le Maroc à travers des photos volées au temps, un plongeon et une réactualisation à la fois du vécu par la magie de l’œil qui sait capter le détail accrochant. Un Thami Benkirane, qui n’hésite pas à réinventer la photo et l’intervertir plaisamment pour en extraire le sens caché. Comme le souiri Mostapha Romli dont le voyage à Aushwitz, dans les sinistres camps de concentrations a fourni un regard jamais osé auparavant par un artiste marocain, ce qui offre une étonnante expérience artistique, du vide et des relents de l’histoire.

Dans tous les cas, pour ces artistes et bien d’autres, il s’agit ici d’explorer les mémoires d’êtres et d’espaces mises en situation de captation jugées cruciales par eux. La photo s’avère création avant toute chose. Récit, reportage, poème visuel, prise simple ou complexe, ou autre. Séquences unies et signifiantes, flash-backs ou créations individualisées, on est face à l’art à tout moment. Car au sein bien des œuvres, on n’hésiterait pas à parler d’auteurs. Des vrais. Ceux qui savent manier le flou, la surimpression, le clair-obscur, le grattage et la surcharge équilibrée et harmonieuse… Toutes ces techniques et approches, qui instaurent une ambiance de réception faisant remonter l’encadré photographique au stade de la valeur signifiante de l’existence proche, même quand le lointain en est le thème.

Oui, ces rencontres permettent d’étudier des thèmes réfléchis par l’argentique et le numérique, et toute autre procédé propre à enrichir la connaissance de l’homme et son environnement, corporel et géographique. Quand il y a un désir de composition de ses éléments constitutifs, mais aussi dans le contact direct. C’est l’œil et la main de l’artiste conjugués à un esprit à l’affût de ce qui recèle des grains susceptibles de nous faire passer dans certains pas d’éternité. Cette seule et grande question de toujours, de la disparition et de l’oubli. Et à qui l’art photographique répond à sa manière, ailée et néanmoins bien ancrée dans l’expressivité recherchée.

C’est un temps de voyage à l’intérieur de l’être pris dans le gouffre de la vie ou de lui-même. Et à l’extérieur aussi, dans des lieux choisis. Le caché et le dévoilé,  en somme.

M’barek Housni
Écrivain et chroniqueur

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