Mémoires vivantes…
La troisième édition des Rencontres Photographiques de Rabat, qui coïncide cette année avec la célébration du 30ème anniversaire de l’Association Marocaine d’Art Photographique, propose aux visiteurs des travaux photographiques à la fois condensés et enrichis par la diversité des approches documentaires, plasticiennes et conceptuelles. Les participants aux différentes expositions et projections ont, avec des approches photographiques et des visions artistiques, abordé la thématique “photos de mémoires, mémoires de Photos” au moyen d’une syntaxe et d’un langage qui célèbrent le plaisir visuel dans toutes ses dimensions. Des approches qui traitent de problématiques préoccupantes sur les frontières entre une mémoire – supposée relever du passé – et les temps présents et futurs.
Par leurs démarches et leurs travaux sur la mémoire des espaces, des lieux et des images, individuelle aussi bien que collective ; les photographes retenus ont su relire leurs mémoires et celles des autres pour leurs insuffler une nouvelle vision voire une nouvelle vie. Par leur militantisme, ils ont déployé un langage visuel empli de structures significatives armées, qui sont de valeurs intellectuelles et culturelles sans concessions.
Attentifs aux engagements historiques et à l’utilisation des nouvelles technologies, ils présentent des travaux qui remettent en question la valeur ajoutée suggérée par les albums photos, surtout de famille, pour comprendre l’histoire identitaire personnelle, afin de la sauver de la disparition ou de l’oubli. Les travaux d’Amine Oulmakki, d’Abderrahman Doukane, de Thami Benkirane et de Véronique Chanteau se rejoignent et s’inscrivent parfaitement dans cette perspective.
Fatima Mazmouz nous propose un retour aux archives iconographiques marocaines et coloniales. Par des remises en question et des critiques non dénuées de provocation, Fatima Mazmouz utilise ces documents visuels afin d’écrire ou de réécrire notre histoire contemporaine dans un but de réconciliation. Dans la même logique, Abdelghani Bibt et Ibn El Farouk revisitent leur propre répertoire photographique pour l’actualiser et lui donner une nouvelle dimension.
Le pari primordial de ces photographes est d’inciter le visiteur à interroger sa propre mémoire visuelle, à observer et à repenser l’acte de voir dans un monde envahi par une multitude exponentielle d’écrans et dans lequel se répandent la cécité et l’amnésie.
D’autres photographes ont opté pour des expérimentations qui célèbrent la mémoire des lieux et des espaces en usant d’approches contemporaines ou classiques. Des espaces et des lieux intimes ou publics, ruraux ou urbains, en mouvement ou figés, avec ou sans présence humaine. Ces photographes ont eu recours à différentes techniques (flou, surimpression, éclairage, etc.), mais avec des visions et des approches originales non-dénuées de sens artistique. Dans ce répertoire, on peut citer les photographes François Beaurain, Yasmine Hatimi, Saâd Tazi, Mostapha Romli, Daoud Oulad Sayed et Zakaria Aît Wakrim.
Les souvenirs traduits par les travaux de ces photographes ne se limitent pas à la recherche d’une corrélation immédiate pour renouveler le lien avec les lieux et les espaces, ils constituent plutôt une tentative susceptible de dépoussiérer notre vision, de raviver notre mémoire et de ressusciter en nous ces lieux et ces espaces. Le retour à ces espaces-mémoires n’est pas une nostalgie en soi, mais plutôt l’envie d’une nouvelle vie pour notre mémoire et pour tout ce que nous portons en nous et qui nous supporte aussi ! C’est le cas du photographe Aurèle Andrews qui tente par ses expérimentations de se doter d’une énergie et d’un espoir pour pouvoir bâtir une nouvelle mémoire dans les territoires d’accueil.
Les photographies de Raùl Cañibano (invité d’honneur de ces Rencontres), de Leila Ghandi, de Patrice Loubon, de Ziad Naitaddi, de Saïd Rais, de Fouad Maazouz et de M’hamed Kilito évoquent d’une manière très subtile l’éventail des mémoires en tant que situations, en tant qu’empreintes que nous vivons et nous subissons quotidiennement, soit comme sentiments engendrés par la lumière de nos petits bonheurs ou par l’ombre portée de nos malheurs, soit comme instants fugitifs qui nous transportent irrémédiablement dans les couloirs du temps.
Avec leurs aspects imaginaires et transhumants, les travaux des participants à cette édition des RPR nous font voyager dans des mondes qui rappellent des vies humaines, des espaces et des moments dont il ne reste, peut-être, que des traces sous la forme matérielle de ces épreuves photographiques : souvenirs de nos joies et de nos peines…
En même temps, ces travaux nous ouvrent un nouvel horizon sur la signification de l’archivage, de la documentation, de l’histoire, et cela va sans dire sur la notion de l’oubli !
Jaâfar Akil
Directeur Artistique Des Rencontres Photographiques de Rabat