Des toiles en guise de carnet pictural de voyage de Benyounes Amirouch
L’Espace Expo de la fondation Mohammed VI de la promotion des œuvres Sociales de l’Education – Formation de Rabat, abrite une exposition en solo du plasticien, critique d’art et chercheur en esthétique Benyounes Amirouche. Une exposition qui se tient depuis le 12 décembre et jusqu’à la fin du mois de janvier 2020.
Une quarantaine de toiles jalonnent cette exposition qui porte le nom «Espacement» comme titre thématique, et sont merveilleusement accrochées sur les cimaises de la galerie faisant le bonheur d’un public nombreux et averti. Un public enthousiasmé présent lors du vernissage qui a pu feuilleter ce carnet de voyage en guise de toiles bien chargées d’émotion, de nostalgie et de sensibilité. Elle concerne de toiles à propos de villes où s’harmonisent des collages, des manuscrits, des gribouillages en langues arabe et en langue française, souvent en noir puis en blanc, des lignes droites, des courbes, des croquis d’architecture, des signes et des empreintes…
Ces compositions retracent la nostalgie pour des lieux citadins qui ont marqué les moments forts générés par des voyages de l’artiste durant les mouvances concernant ses activités et son parcours artistique. Des villes qui ont bien tatoué sa mémoire visuelle et sensuelle tel Meknès, Rabat, Casablanca El-Jadida , Alkods ou Paris.
Ce qui caractérise les œuvres exposées, picturalement parlant, c’est d’abord le fait qu’elles sont presque toutes partiellement marouflées, soit par des manuscrits ou des photos de lieux architecturaux de l’une des villes citées là-haut et empruntés à des revues. Des lieux qui sont restées gravées dans la mémoire du peintre après de beaux moments de partage et de jouissance puisque la ville abrite tout ce qui est destiné à l’échange et l’acculturation, car le repli sur soi conduit à l’isolement et l’effacement comme disait l’anthropologue Levis Strauss. On y trouve même des affiches et des enveloppes postales timbrées et récupérées pour former un fond de la toile tout en collage. De même que des manuscrits comme compositions, ne peuvent être que des brouillons de textes critiques, des notes de lectures ou des fragments d’interventions pour un débat ou une table ronde autour d’un sujet d’art, d’esthétique ou à propos d’un artiste d’une exposition.. etc.
En deuxième superposition dans ces toiles, sur la sous-couche des photos et des manuscrits, vient l’intervention chromatique de l’artiste à travers des coups de pinceau et de petites gestuelles, en utilisant des couleurs de terres, souvent l’ocre, le marron et rarement le rouge tel qu’on l’observe à propos de la ville d’Alkods entre autres. Du bleu en haut de chaque travail donnant sur le ciel ouvert pour laisser respirer les espaces architecturaux en tas au centre de chaque planche et lui donner un espacement léger et gai au-delà du bâti. En bas les couleurs de terre, en différents tons, règnent comme si l’on est aux portes de chaque cité, et que l’on domine la vue pour une vision panoramique de chaque site…
Etre le haut et le bas de chaque œuvre s’étale le sujet architectural et monumental où se perçoit l’essentiel mémorisé des espaces vécus stigmatisant les détails de ruelles et des allées…Là la peinture et ses touches se limitent à harmoniser et faire cohabiter l’ensemble des lieux et lui offrir cette chaleur nostalgique comme l’on remarque à titre d’exemple à travers les tours et murailles de Meknès, la cité portugaise d’El-Jadida, la mosquée Alkods en Palestine et l’arc de triomphe à Paris …
En troisième superposition, des esquisses architecturales surmontent leurs progénitures (le bâti) et flottent en-dessus, soit comme lignes droites en perspective vers un point de fuite ou en opposé, puisque le bâti n’est pas étalé horizontalement, soit en diagonale, en plongée ou encore en courbe. L’artiste accentue avec des contrastes, des charges et des plénitudes intérieures ce qui reste d’intime et de précieux en ces lieux qui l’ont charmés le long de ses séjours, durant son parcours d’artistes et de pédagogue.
Cette dimension de cette relation intimes avec l’espace vécue révèlent que la ville assimile l’art, nous assimile et nous invite à y vivre comme elle vit en nous et nous permet d’avoir l’échange et le partage avec autrui. On doit laisser la ville nous habiter, comme disait Heidegger, pour qu’on y vive.
Pour donner de l’équilibre, de la philharmonie et de la consonance aux compositions de ses œuvres, Amirouche, en cinquième superposition, estampe chaque toile souvent par une empreinte de l’un de ses doigts à deux, trois ou même parfois sept reprises, en bas à gauche ou en haut. Parfois à droite ou au milieu… là où la cohérence de l’œuvre l’exige.. En outre et pour avoir trouvé la concordance cherchée, on trouve des lignes non droites en pastel sec et des gribouillages en guise de lettres et de textes non lisibles en noir et rarement en blanc. La signature en langue arabe et en langue française finalise ce jeu d’ajustement et de finalisation.
L’œuvre de Benyounes apparaît au final telle une autobiographie picturale peinte et écrite par l’auteur lui-même; avec amour et poésie, et où notre artiste esthéticien retrace nostalgiquement son parcours d’une longue traversée à travers un cheminement passionnant au sein de villes qui l’on marqué le plus et où il a fait son apprentissage, et où il a grandi. Une sorte de reconnaissance envers l’espace vécu qui a vu grandir un enfant afin de repenser la ville autrement, à un âge de maturité, un âge viril. Cette expérience picturale est une aventure rare, ce fait de repeindre un vécu citadin, de l’emprunter et de le partager au présent et l’avenir.
Vivre avec autrui est la destinée de la ville. Celle-ci accueille nos corps en lui offrant un espace habitable, un abri, où on peut se mouvoir, faire des rencontres, donner et recevoir, et prodiguer de la considération à l’échange afin d’éviter le repli sur soi et succomber comme dit Le Corbusier. Et ce en sculptant le concept du « Modulor » pour expliquer que l’architecture fait un choix anthropologique dans le but de penser l’espace et l’architecture à l’échelle corporelle réelle des humains, « L’espace indicible» comme espace convenable.
Abdeslem Azdem
Janvier 2020